Pendant plusieurs décennies, la silhouette effilée d’une Mercedes Classe S s’est imposée comme l’incarnation même du prestige diplomatique. Symbole de rigueur germanique, de luxe discret et de puissance motorisée, la marque à l’étoile trônait sans partage dans les cortèges présidentiels et les chancelleries. Mais en ce milieu d’année 2025, un vent de défiance semble souffler sur Stuttgart. Et ce qui n’était qu’un frémissement devient, à bien des égards, un véritable tournant stratégique et symbolique.
Une chute vertigineuse et des équilibres rompus
Au deuxième trimestre 2025, Mercedes a enregistré une baisse brutale de son bénéfice net : moins 69 % par rapport à l’année précédente. Un chiffre alarmant qui dépasse le simple aléa conjoncturel. Le groupe, par la voix de son PDG Ola Källenius, reconnaît une série de chocs structurels. Parmi eux, l’effondrement du marché chinois, autrefois relais de croissance stratégique pour les constructeurs allemands, avec une chute de 14 % des ventes. Mais également, et surtout, l’échec relatif de la gamme électrique EQ, censée incarner la transition énergétique du constructeur.

En conséquence, Mercedes revoit drastiquement ses ambitions à la baisse, abaissant ses prévisions de marge opérationnelle à 4 – 6 % pour l’exercice 2025, contre 6 – 8 % auparavant. Le manque à gagner est déjà estimé à 362 millions d’euros. Ce repli stratégique sonne comme un aveu de fragilité pour une marque jusqu’alors perçue comme l’un des piliers de la suprématie technologique allemande.
La fin d’un monopole dans les allées du pouvoir
Au-delà des chiffres, c’est toute une représentation du luxe diplomatique qui vacille. De plus en plus de chancelleries, de missions permanentes et d’ambassades tournent le dos à Mercedes, au profit de véhicules plus adaptés aux nouveaux paradigmes : moins ostentatoires, plus sobres, et surtout électrifiés. Cette dynamique est particulièrement visible dans les institutions internationales, où la pression climatique et la nécessité d’un « verdissement de l’image » poussent les services de protocole à revoir leurs catalogues fournisseurs.
Des marques chinoises, telles que BYD ou NIO, font ainsi une entrée remarquée dans les flottes diplomatiques. Leur avantage ? Une offre 100 % électrique, compétitive en termes de coût, avec des prestations techniques désormais à la hauteur. Les véhicules français, italiens, japonais ou coréens regagnent également du terrain, surfant sur des valeurs de sobriété, de fiabilité et de proximité.

La France impose doucement ses DS haut de gamme, l’Italie fait valoir son raffinement avec Maserati ou Alfa Romeo, tandis que la Corée du Sud séduit par l’élégance technologique de Genesis. Quant au Japon, il reste un bastion de pragmatisme respecté avec Nissan et Lexus, offrant luxe, hybridation et durabilité.



Un changement d’époque confirmé par Porsche
Cette transition ne concerne pas Mercedes seule. Porsche, autre fleuron du luxe allemand, traverse une période d’incertitude analogue. Son PDG, Oliver Blume, ne masque pas son inquiétude :
Il ne s’agit pas d’un mauvais temps passager. Le monde a massivement changé, et surtout, d’une façon différente de ce sur quoi nous tablions il y a quelques années .
En filigrane, c’est toute la stratégie allemande fondée sur une excellence technique coûteuse, une image de puissance et une relative lenteur dans l’électrification qui est remise en question.

Le luxe diplomatique redéfini
Ce retournement de tendance ne doit rien au hasard. Il s’inscrit dans une reconfiguration géopolitique plus vaste. Le luxe, dans les relations internationales, n’est plus affaire de clinquant ni de performance brutale. Il devient expression de responsabilité, d’alignement éthique et d’innovation durable. Ainsi, rouler en Mercedes peut apparaître, dans certains cercles, comme une anachronie ou un attachement à un monde qui s’efface.
Cette mue diplomatique est également nourrie par le recul symbolique de l’influence allemande sur certains continents, notamment en Afrique et en Asie, où la Chine, la Corée et même la Turquie avancent leurs pions à coups d’infrastructures, de prêts avantageux et de soft power technologique. Dès lors, choisir une autre marque que Mercedes, c’est parfois aussi faire un choix d’alignement politique subtil.
Vers une réinvention ou une marginalisation ?
Face à ce glissement tectonique, Mercedes est sommée de se réinventer. Porsche aussi. Mais la marque est-elle prête à s’affranchir de son héritage statutaire, à s’ouvrir à de nouveaux codes de mobilité, à rompre avec son ADN de prestige thermocentré ? Rien n’est moins sûr. Le virage est serré, et la trajectoire reste incertaine.
Derrière les vitrines épurées des showrooms, c’est donc une bataille culturelle, économique et diplomatique qui se joue. Celle de l’avenir de la mobilité des élites. Et dans ce jeu désormais mondialisé, le monopole de l’étoile semble pâlir, rattrapé par des constellations nouvelles, plus agiles, plus vertes, et souvent plus stratégiques.